Le voyage guidé des gamètes mâles chez les plantes à fleurs
Au cœur de la fleur d’Arabidopsis thaliana, le pistil, formé de centaines de papilles et d’un ovaire abritant les ovules, est entouré d’étamines qui libèrent des grains de pollen porteurs des gamètes mâles. Dans un article publié dans PLOS Computational Biology, en combinant théorie et expériences, des scientifiques révèlent comment les gamètes mâles sont guidés en direction des ovules dès le début de leur voyage à la surface de l’organe reproducteur femelle
La fleur, clé du succès reproductif des plantes
De nos jours, les plantes à fleurs représentent plus de 90% des espèces végétales qui nous entourent. Leur succès est dû, notamment, à une innovation évolutive majeure permettant d’optimiser et de sécuriser la reproduction : la fleur.
Il existe une très grande diversité de fleurs mais elles ont toutes un point commun : centraliser les organes reproducteurs et protéger les gamètes dans des structures spécialisées. Une grande majorité des fleurs sont hermaphrodites, c’est-à-dire qu’elles renferment à la fois les organes reproducteurs femelle (pistil) et mâles (étamines) (figure A).
Si on regarde plus en détail le pistil, on découvre à son extrémité, une multitude de cellules quasi-cylindriques que l’on appelle des papilles stigmatiques, puis plus bas une partie un peu renflée qui contient les ovules (figure B). Les étamines, quant à elles, possèdent comme un sac à leur extrémité, qui, lorsque la fleur s’ouvre, libère son contenu : les grains de pollen contenant les gamètes mâles (figure B). Les ovules enfouis dans le pistil et les gamètes mâles à l’intérieur des grains de pollen sont donc bien protégés, mais la contrepartie est que quand des centaines de grains de pollen atterrissent à l’extrémité du pistil sur les papilles, les gamètes mâles sont encore bien loin de leur destination. Ils ne peuvent pas accéder directement aux ovules, surtout que contrairement aux spermatozoïdes, ils sont incapables de se déplacer seuls !
C’est là qu’entre en jeu le tube pollinique
Chez Arabidopsis thaliana, une plante modèle pour la recherche, le grain de pollen forme un tube au contact d’une papille. Les gamètes mâles migrent alors vers l’extrémité de ce tube, qui s’allonge à travers la papille et l’ovaire pour atteindre les ovules. Dès qu’un tube pénètre dans un ovule, son extrémité se déchire et les gamètes mâles sont libérés (figure C). L’objectif est atteint, les gamètes mâles pourront fusionner avec les gamètes femelles afin de donner naissance à un embryon à l’origine de la future graine.
Le rôle décisif de la papille stigmatique et du tube pollinique
Ce mécanisme de transport des gamètes mâles est un processus fascinant qui nécessite que le tube pollinique soit guidé correctement à travers les tissus femelles. S’il se perd en route, la fécondation ne pourra pas avoir lieu et donc pas de descendance possible. Cela représente un risque pour le maintien de l’espèce, mais aussi, indirectement, pour la nôtre qui dépend de la production de graines pour son alimentation.
Dans un article publié dans la revue Plos Computational Biology, des scientifiques, grâce à une approche pluridisciplinaire réunissant biologistes, mathématiciens et physiciens, ont montré que le tube pollinique exploite deux propriétés physiques de la papille, sa géométrie quasi cylindrique et l’élasticité de son enveloppe (aussi appelée paroi), pour s’orienter avec précision depuis son émergence du grain jusqu’à la base du stigmate.
Au début de son voyage, le tube pollinique s’enfonce dans la paroi des papilles stigmatiques et avance dans cette enveloppe relativement rigide, comme s’il se glissait avec un peu d’effort entre les draps bien tendus d’un lit. Pour que le tube progresse, il lui faut déformer la paroi à la fois circonférentiellement autour de la papille, et longitudinalement suivant le grand axe de la papille. Or, déformer un cylindre dans une direction ou une autre ne nécessite pas la même quantité d’énergie. D’après nos simulations numériques, il faut davantage d’énergie au tube pollinique pour ceinturer la papille que pour la longer (figure D). Comme la nature tend généralement à choisir l’option la moins énergivore, cette différence d’énergie constitue un guide directionnel pour le tube, qui va avoir tendance à s’aligner le long de la papille. Ce qu’a également révélé le modèle mathématique est que pour percevoir la géométrie cylindrique de la papille (et s’aligner selon la direction de moindre énergie), le tube doit rester assez fortement plaqué contre la surface de la papille. Si ce plaquage n’est pas suffisant, les simulations prédisent que le tube ne peut plus sentir de différence d’énergie dans les différentes directions du cylindre ; il aura alors tendance à s’enrouler autour de la papille pouvant même se perdre et ne jamais trouver sa cible. Pour valider ces prédictions, les scientifiques ont étudié un mutant d’Arabidopsis thaliana dont la paroi des papilles est plus molle. Les observations expérimentales ont confirmé que lorsque le tube n’est plus maintenu solidement par la paroi, il perd la capacité de sentir la direction de moindre énergie, il suit des trajectoires complexes en s’enroulant autour de la papille et perd son cap vers les ovules (figure E et F).
En résumé, notre étude interdisciplinaire alliant des analyses théoriques en géométrie et physique à des investigations expérimentales de biologie, a permis de décrypter un mécanisme complexe mais essentiel au bon déroulement de la phase initiale de la reproduction chez les plantes à fleurs.

Figure : Guidage du tube pollinique dans les papilles stigmatiques d’Arabidopsis thaliana. Au début des années 2000, Arabidopsis thaliana est devenue la plante modèle pour les chercheurs en biologie végétale. Cette petite plante d’environ 40 cm appartient à la famille des Brassicacées comme le colza, le chou-fleur ou la moutarde. (A) Sa fleur regroupe les organes reproducteurs. (B) Les scientifiques utilisent le microscope électronique à balayage pour observer les fleurs en détail. Le stigmate (colorisé en vert) est composé de plusieurs centaines de papilles stigmatiques. L’ovaire renferme une cinquantaine d’ovules. À maturité, les sacs situés à l’extrémité des étamines libèrent des centaines de grains de pollen (colorisés en rouge). (C) Représentation schématique des différentes étapes de la reproduction.
De nombreux grains de pollen (représentés en rouge) se sont déposés sur le stigmate. Au contact d’une papille (représentée en vert), le grain germe un tube pollinique qui croît en direction des ovules. Au contact des ovules, le tube libère les gamètes mâles pour permettre la fécondation. (D) Modèle mathématique : la papille est représentée par un grand cylindre et le tube par un petit cylindre. Pour s’allonger en direction des ovules, le tube à deux options, croître circonférentiellement (flèche bleue) ou longitudinalement (flèche jaune). L’option longitudinale est moins coûteuse en énergie. (E-F) Des images prises au microscope électronique à balayage permettent d’observer la direction de croissance des tubes polliniques dans des papilles d’une plante sauvage (D) ou mutante (E). Sur une papille sauvage, le tube s’aligne avec l’axe longitudinal de la papille (E). Dans la paroi plus molle du mutant, le tube s’enroule autour de la papille (F). Certains grains de pollen, tubes polliniques et papilles ont été colorisés pour permettre une meilleure visualisation.
En savoir plus : Geometric and mechanical guidance: Role of stigmatic epidermis in early pollen tube pathfinding in arabidopsis. Riglet L, Quilliet C, Godin C, John K, Fobis-Loisy I.
Plos Computational Biology, 27 mai 2025, DOI : https://doi.org/10.1371/journal.pcbi.1013077
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